Pour l’école de la République...?

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L’année 1998 et le début de 99 ont été notamment marquées par une forte polémique sur l’école. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pensons qu’une réflexion sereine et approfondie sur au moins quelques uns des points suivants permettrait de sortir des outrances et procès d’intention.

Quelques questions


Dans tous les pays développés, on s’interroge sur les politiques éducatives et sur leurs résultats (dans l’ensemble fort conformes aux thèses que BOURDIEU développait dans
“La Reproduction”). La plupart des experts s'accordent sur ce que les performances du système éducatif français (rapportées aux résultats des élèves) sont dans la moyenne des pays similaires, mais, qu’excepté l’Enseignement Supérieur, ce système est chez nous sensiblement plus coûteux pour le contribuable. Certes, il faut manier avec précaution les critères de rentabilité appliqués à l’école, mais reconnaissons que, comme la santé, si l’éducation de nos enfants n’a pas de prix, elle a néammoins des coûts que supportent les citoyens.
Cette donnée à son poids, d’autant plus que les revendications qui s’expriment chez nous sont essentiellement quantitatives dès qu’il est question d’éducation, conformément à la logique du
“Toujours plus de la même chose”.

L’école d’aujourd’hui est-elle égalitaire quant à ses résultats ? Elle l’est au moins dans ses procédures..! Faut-il pour autant répéter que tout allait bien mieux avant ?
L’était-elle davantage avant les années 60, alors que le Lycée était réservé à la minorité de ceux qui réussissaient l’examen d’entrée en 6ème, la majorité des autres allant en fin d’études ?
Rappelons que dans les années 60, 6 à 7% d’une classe d’âge parvenait au baccalauréat. Le pourcentage est dix fois supérieur aujourd’hui.
De ce fait, peut-on raisonnablement espérer exercer son métier d’enseignant de la même manière aujourd’hui que lorsque le secondaire était réservé, très significativement, aux enfants issus de milieux favorisés ? En 1960, 20% d’une classe d’âge accédait à la 6 ème, contre 95% aujourd’hui.
Or, en examinant de près, peu de choses ont changé dans les fonctionnements pédagogique depuis cette époque. Certes les dispositifs ont évolué (ZEP, SEGPA, filières,.....), mais la réalité de l’acte pédagogique reste très majoritairement centrée sur la classe, le programme et le cours. D’autres voies, d’autres références, qui ont pourtant fait leurs preuves ne sont-elles pas à exploiter ? Ne convient-il pas d’envisager de différencier encore davantage les prestations en fonction des diverses particularités ?

Un des problèmes de l’école, aujourd’hui, n’est-il pas qu’il existe des établissements favorisés, du moins du fait de leur population scolaire, et d’autres qui le sont moins?... Les règles actuelles du système font que les meilleurs professeurs sont là où les élèves en ont le moins besoin.
Qui a eu l’occasion d’exercer successivement dans l’établissement d’un quartier résidentiel et dans celui d’une banlieue difficile pourra en témoigner.

Est-ce que maîtriser parfaitement sa matière entraîne automatiquement qu'on est un bon enseignant? L’acte pédagogique ne constitue-t-il pas une interaction de communication complexe? Peut-il se réduire au cours magistral, même lorsqu’il est exercé avec sérieux et talent ?
L’acte d’enseignement n’a pas sensiblement évolué, au moins dans sa conception, chez bon nombre d’enseignants depuis près de 500 ans. A l’aube du deuxième millénaire, est-ce bien raisonnable? La critique du
“pédagogisme” n’est-elle pas souvent le fait de ceux qui se refusent à toute évolution dans ce domaine ? Pour quelles raisons?
Et pourtant...! De grands groupes industriels commencent à proposer aux parents, par INTERNET interposé, des compléments de cours avec accompagnement individualisé (payants la plupart du temps). Qu’en sera-t-il dans 10 ou 20 ans ? Une partie de ces cours commence à provenir d’outre-Atlantique. N’y-a-t-il pas là les prémisses de dangers réels pour la laïcité, pour notre culture et le service public d’enseignement ?

Au moment où l’on hurle sur les allègements de programmes du
“lycée light”, peut-on continuer longtemps, au rythme actuel des découvertes, à accumuler des CONNAISSANCES dans des PROGRAMMES ? Ne serait-il pas plus rationnel d’envisager l’enseignement comme l’acquisition de COMPETENCES (observer, problématiser, analyser, modéliser, expérimenter, argumenter, rédiger, présenter....) dans le cadre d’OBJECTIFS éducatifs adaptés aux publics scolarisés tels qu’ils sont ? (et non pas telle que les fictions idéologiques voudraient qu’ils soient ).
Il n’y a quasiment pas d’enseignants qui ne se plaignent de la loudeur des programmes et du fait que, lorsqu’ils peuvent les
“finir”, cela les oblige à “survoler” les choses et à négliger les “élèves en difficultés”. Sont-ce les mêmes qui s’émeuvent du dépoussiérage nécessaire de programmes constitués de manière strictement cumulative?
Faut-il continuer à ne concevoir l’enseignement qu’en termes de
“contenus” et “disciplines” ?.. Ce qui renvoie à “une tête bien pleine” ? Ne serait-il pas temps d’intégrer à l’enseignement, en tant que telles, l‘acquisition de méhodologies telles que celles du travail personnel, de l’analyse de situations-problèmes... ? Ne serait-il pas temps de concevoir l’enseignement comme l’accompagnement à la fabrication autonome, par chaque élève, de “ses propres connaissances”?
A une époque où les théories du chaos et de la turbulence, où les cosmogonies du “big bang” mettent en évidence la complexité inhérente des phénomènes et de la connaissance, ne serait-il pas temps d’intégrer plus significativement des allers- retour de la manipulation à la conceptualisation (et inversement) ainsi que de l’interdisciplinarité ? N'y aurait-il pas là moyen de faciliter la fabrication de sens?

Est-ce faire preuve de bon sens que de travailler avec des classes hétérogènes comme si elles étaient homogènes, et à travers un emploi du temps immuable du début à la fin de l’année ? Le service des enseignants, sans être alourdi, ne devrait-il pas être revu pour permettre de soutenir davantage, individuellement et en petits groupes, ceux qui en ont le plus besoin ? Ne serait-ce pas là la première condition d’une réelle
“Ecole de la République” ?
N’y a-t-il pas les ressources pour, sans alourdir les coûts pour les contribuables, d’instiller davantage de souplesse à une machine dont la rigidité est devenue proverbiale ?

A l’heure où les neurosciences et les sciences de la cognition commencent à nous permettre de comprendre les fonctionnements du système nerveux central, où les innombrables interactions entre la mémoire, les habiletés, les motivations, les expérimentations, les heuristiques, les conceptualisations se libèrent, un peu, de l’obscurité... Peut-on rejeter avec mépris, sous le vocable de
“pédagogisme”, les applications de la recherche fondamentale aux sciences appliquées traitant de l’apprentissage ? N’y-a-t-il pas là de l’obscurantisme et de la réaction ?
Est-ce vraiment hérétique que de prétendre que le professionnel de l’enseignement, en rupture avec
“le maître”, doit aussi nourrir la motivation des élèves et leur renvoyer une image valorisante pour être efficace? Comment expliquer que, dans le même établissement, cohabitent des professeurs chahutés et d’autres respectés ? Est-ce uniquement dû à un charisme inné ?

Est-il concevable que seuls les enseignants puissent
“dire le vrai” en ce qui concerne l’enseignement ? Les parents d’élèves, les contribuables, les milieux économiques n’ont-ils pas leur mot à dire ? Alors que la majorité légale est à 18 ans, est-il réellement démagogique et malhonnête de questionner les lycéens sur leur vie au lycée ? Alors que les entreprises et les services publics se centrent sur la recherche de la satisfaction de leurs clients et usagers, au nom de quels principes l’école devrait-elle constituer une exception dans ce domaine ?

Quand il existe dans notre pays près de 5 millions de chômeurs, exclus et (très) précaires, est-ce inadmissible de remettre de l’ordre dans le taux des heures supplémentaires et d’embaucher des “contrats-jeunes” ? Faut-il abolument voir là l’amorce d’une déqualification programmée de tous les enseignants? N’est-il pas indispensable d’essayer de donner un minimum de
“liant” à une vie scolaire dont on sait qu’elle se dégrade fortement dans certains établissements, même au prix d’une entorse aux sacro-saints “statuts” ?

Est-il bien rationnel, au nom de la culture, de laisser un bon nombre d’élèves du collège ne pas savoir lire un énoncé. Ne vaudrait-il pas mieux, au moins à ce stade, délaisser les
“tourments de Bérénice” et les joyaux de notre littérature au bénéfice d’une maîtrise correcte de la langue française courante? Plus généralement, la culture se réduit-elle aux grands classiques et les enseignants sont-ils là pour “inculquer” aux masses les arcanes de la “haute culture” ?

Si des
“exigences” sont indispensables, en terme de programme et de contenus, le niveau de ces exigences ne devrait-il pas être pondéré par l’écart-type des capacités des élèves et traduit en objectifs individuels ? Autrement dit, à vouloir mettre la barre trop haut, ne risque-t-on pas de bloquer à jamais les élèves les plus en difficultés au bénéfice de ceux qui en ont le moins besoin ?


Rassembler ce qui est épars...

Pour la deuxième Loi de la Dialectique d’HEGEL et la théorie des catastrophes de R. THOM, des changements quantitatifs peuvent mener à des bonds qualitatifs. La massification de notre système éducatif, l’accès au secondaire et au supérieur de pourcentages d’élèves toujours plus importants, l’incessant enrichissement des connaissances obligent, pour rester fidèle à l’ESPRIT des fondateurs de l’Ecole Publique Laïque et Obligatoire (une majuscule à chacun de ces mots pour signifier qu’il a du sens), à des ruptures.

Les fonctions du système éducatif sont irrémédiablement plurielles. Elles comprennent autant l’accès à la culture que la maîtrise des capacités de base et fondamentaux, la formation d’un esprit critique que l’acquisition de savoirs, la formation de futurs citoyens que l’intégration au marché de l’emploi... L’atteinte de ces objectifs, tous équivalents dans une optique sociale globale, ne peut se suffire de lieux-communs et d’anathèmes.
Dans un environnement socio-économique en perpétuel bouleversement, le système éducatif doit évoluer en permanence pour simplement rester fidèle à ses missions.
Le monde de l’éducation est au coeur du social, de ce qui fonde le social et ses solidarités. Il est aussi au centre du développement économique, celui qui nous garantit actuellement un niveau de vie des plus enviable, malgré ses insupportables inégalités. De son
“bon” fonctionnement dépend en grande partie notre avenir collectif dans un contexte difficile et où rien n’est jamais acquis. Il adhère intimement à l’ensemble des connaissances produites et à produire. Il a donc mission à “rassembler ce qui est épars”.

Notre système éducatif, notamment du fait de l’irruption des nouvelles technologies de l’information et de la communication, est à la veille de mutations profondes. Les nouvelles technologies de l'information en général et Internet en particulier amèneront le pire si rien ne bouge, et/ou le meilleur si la profession s'en saisit et accepte de réviser ses missions et fonctions.
Ces ruptures obligent une refondation du contenu des concepts de
“laïcité”, de “république”, d’”éducation”, d’”enseignement”. La laïcité d’aujourd’hui, pour rester fidèles aux mêmes objectifs qu’au début du siècle, doit vivre avec son temps, ses contraintes, ses contextes et ses outils.

Le système éducatif ne remplira ses fonctions au service de la République, d’instruction et d’éducation que si le débat préalable aux décisions du politique n’est pas obscurci par les corporatismes, la réaction et les lobbys d’une catégorie professionnelle qui, par ailleurs montre tous les jours les capacités de nombre de ses membres à innover et à bâtir une école centrée sur la réussite de ses élèves tels qu’ils sont. Le débat sur l’école exige que toutes les champs sociaux s’expriment, explicitent leurs attentes et que la démocratie, informée des enjeux, tranche.

1999