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Passons en revue quelques hypothèses concernant les fonctionnements
de la mémoire, notions trop souvent ignorées par le monde de la formation.
Ce champ fonde pourtant les développements de l’ingénierie de formation.
Un cursus, une séquence ou une situation de formation visent, fondamentalement,
un enrichissement et/ou une réorganisation des symboles de reconnaissance et
des schèmes d’action (in-formations)qui constituent l’essentiel de la mémoire
opérationnelle d’un apprenant.
Une définition systémique orthodoxe nous permet de dire que le sous-système
de mémorisation est un objet actif, travaillant sur des flux symboliques issus
de ses perceptions externes et internes et assurant au système qui l’abrite
les capacités de se maintenir, de se reproduire et de se relier à des environnements
par représentation et stockage symbolique du résultat de ses interactions
avec ces environnements.
La mémoire est à la fois le reflet symbolique de notre activité passée,
mais, par ses mécanismes de sélection et d’oubli, le reflet de nos projets
implicites et explicites. Elle est ce qui nous permet non seulement de percevoir
la réalité, mais de la modéliser à des fins d’actions et de nous
concevoir en tant que sujets actifs.
JL LE MOIGNE (0) décrit ainsi les fonctions du sous-système de mémorisation
:
En termes moins techniques : Enregistrement sous une forme
symbolique, marquage et classement, copie et re-fabrication, association de symboles
mémorisés entre eux (raisonnement, computation...), capacité à
retrouver les symboles mémorisés, oubli... de symboles et d’ensembles de
symboles organisés entre eux et provenant de notre expérience.
JP CHANGEUX (1) présente
la mémoire plus simplement comme capacité à rendre disponible l’emploi
d’un apprentissage (c’est à dire une modification stable de comportements).
Mais le propre d’une mémoire, au delà de ses fonctions, est d’être
opérationnelle à l’espace des situations dans lesquelles elle opère
ou dans lesquelles elle est susceptible d’opérer.
1- La mémoire humaine possède une structure hiérarchisée,
et l’on doit parler des mémoires. Cohabitent notamment: :
Ces différents niveaux logiques (très sommairement
exposés) sont en interaction permanente entre eux, sauf lors du sommeil profond.
2- H. ATLAN (2) souligne
trois capacités caractéristiques d’une mémoire :
La caractéristique d’une mémoire est de reconnaître
du nouveau, de lui donner du sens puis d’en classer les caractéristiques. Intégrant
en permanence du neuf, une mémoire passe, obligatoi-rement, à certains
moments, par des réorganisations de ses modalités de stockage et d’indexation.
Rajoutons à ces descriptions qu’une mémoire évolue sans cesse, sur
des modes encore peu connus.
Les modèles théoriques sont celui de l’évolution
par le “bruit ré-organisateur”
(VON FOERSTER cité par ATLAN (3) ),
celui de la “structure dissipative”
(PRIGOGINE): oscillations organisationnelles, dans un état loin de l’équilibre
à forte consommation énergétique et préparées par des fluctuations.
3- Il existe différents types de modélisation
du cerveau humain qui ont des retombées sur les hypothèses que l’on peut
émettre concernant la mémoire.
En fait, la mémoire apparaît comme un système
hiérarchisé et ouvert, avec sa propre mémoire (le code génétique),
de processus et de programmes de différents types. Chaque niveau hiérarchique
possède ses canaux d’information, ses critères, ses modes et ses délais
d’organisation et de réorganisation. Elle se compose d’un ensemble de processus
plus ou moins définis, à signal de déclenchement plus ou moins strict,
bâtis à partir de l’expérience de l’individu.
Elle est capable de répondre autant par de véritables programmes quasi-automatisés
que par des heuristiques, méthodologies de résolution de problèmes,
selon le taux d’incertitude (subjectif) des signaux qu’elle reçoit.
Elle est intrinsèquement inséparable du processus qui démarre de la
perception et qui se termine par l’évaluation retardée de l’action.
4- Le processus de mémorisation fait appel non seulement aux informations
extraites de l’environnement, mais vraisemblablement surtout à la manière
dont a été vécue l’interaction au cours de laquelle ces informations
ont été extraites, avec vraisemblablement des marquages spécifiques
de chacun des trois étages de l’encéphale, selon leurs degrés de mobilisation.
Une information (une différence, une rupture perçue et distinguée,
un évènement statistiquement improbable...) est contingente de ses outils
de perception (à la fois organe des sens et modalités de représentation
pré-établies et mémorisées).
Mais cette rupture, pour être perçue, suppose un récepteur aux perpétuels
aguets, en état de veille opéreationnelle, “tirant
sur tout ce qui bouge”, ou donnant du sens à certaines
ruptures qu’il sélectionne parce qu’elles sont référencées :
Une information (ce qui donnera forme à des comportements
futurs), hors sa définition mathématique, est la manière dont un système
va donner sens à une perturbation de ses environnements. Il ne donnera sens
qu’en fonction d’éléments déjà mémorisés. En fait,
il faudrait mieux parler d’une in-formation : c’est à dire la manière dont
une perturbation des environnements va prendre forme à l’intérieur du système.
Information et mémoire sont donc indissociables.
Si nous acceptons cette définition, nous voyons qu’une information, contrairement
à ce que l’on pense couramment, ne peut être transmise. Elle sera acquise/construite
à partir de la perception d’une perturbation interne ou provenant des environnements.
Là où tout le monde ne voyait que
moisissures banales, FLEMING perçut un écart à cette norme, il en
construisit des informations, la penicilline découle de la perception de cet
écart.
Si l’information ne peut être transmise, le formateur n’est plus ce transmetteur
de savoirs que décrit la pédagogie classique, mais uniquement l’accompagnateur/catalyseur
des constructions autonomes de l’apprenant.
Donner du sens suppose qu’il y a une interaction puisqu’une perturbation externe
va aboutir à une modification interne. Ce qui rejoint la définition de
BATESON pour lequel une information est une différence (perçue dans
l’environnement) qui va produire d’autres différences (de comportements).
C’est cette interaction qui est mémorisée, ou plutôt ses résultats
marqués affectivement (avec un rôle important de l’hippocampe) en agréable/désagréable,
vont s’inscrire dans les mémoires à court terme (à rythme circadien).
Le passage entre les différentes mémoires
à court terme (qui ont pu être mises en évidence, allant de 20 secondes
à la journée) à la mémoire à long terme va se dérouler
sous l’influence de l’acide ribonucléique et a principalement lieu au cours
du sommeil paradoxal, celui du rêve.
Au cours du sommeil paradoxal les rythmes cérébraux s’emballent (une des
hypothèses est que cela correspond au “réveil” des marquages “affectifs”, par l’hippocampe des engrammes au cours de l’interaction),
le pouls et la respiration s’accélèrent.
D’autres manifestations visibles soulignent les phénomènes de plaisir/déplaisir
ré-interprétés au cours du rêve. On peut émettre l’hypothèses
que c’est ce marquage agréable/désagréable, gratifiant/non gratifiant
qui oriente et pré-dirige l’organisation en mémoire et l’indexation des
informations engrammées.
Le sommeil paradoxal présente des analogies avec une redondance
chaude, dynamique et active (orage cérébral) du système nerveux au
cours de laquelle des rencontres à la fois aléatoires et déterminées
(ordre/désordre) vont s’opérer entre l’appareillage conceptuel mémorisé
déjà construit et les engrammes acquis la veille, tout en effectuant les
réorganisations éventuellement nécessaires au maintien d’une redondance
opérationnelle. ATLAN émet l’hypothèse que le rêve pourrait
être un des modes de “recharge” en redondance du système nerveux central.
CHALLAMEL & THIRION (5) montrent l’importance des privations de sommeil paradoxal
pour l’apprentissage :
Le sommeil paradoxal semble dessiner une “crise
réorganisatrice” permettant / facilitant la mémorisation
par le système nerveux.
5- Les fonctionnalités des deux hémisphères du cerveau sont
sensiblement différentes, selon des thèses sérieuses, avec des prédominances
plus que des spécialisations :
6- MARCH & SIMON (7) décrivent deux grands modes d’évolution de l’organisation qui rejoignent les réflexions de JL LE MOIGNE.
Transposé en situation d’apprentissage, cela signifie pourait signifier :
Ces 4 postulats, pour partie validés scientifiquement, nous permettent de poser les branches-limites d’une fourchette de l’apprentissage:
7- H. LABORIT explique que le degré d’incertitude dans lequel le système vit une situation d’interaction avec son environnement a des retombées sur ses réactions, sous l’influence des systèmes hormonaux PVS et MFB (communément appelés faisceaux de la punition et de la récompense).
Dans ces deux cas, ce sont des réponses globales, à forte dépense
d’énergie, et non-adaptatives qui sont à l’œuvre, sous des formes et avec
des effets différents, un refus de l’interaction.
Il faudra alors distinguer:
Une séquence de formation efficace devra, à partir de l’analyse fine des publics, mettre les auditeurs en situation de percevoir des écarts à la fois stimulants et rassurants entre :
8- Le modèle de CHANGEUX-COURREGES-DANCHIN
(8) de maturation sélective des synapses
nous montre une organisation du système nerveux central à haute redondance
fonctionnelle initiale se différenciant peu à peu, sur un mode darwinien,
au gré des interactions successives avec ses environnements. Au gré des
interactions (leurs fréquences et leurs intensités par champs définis)
certaines synapses se fixent, d’autres ne se construisent pas durablement et disparaissent
plus ou moins vite selon leur rythme de réactualisation. Certaines, si elles
ne se fixent pas à un âge donné, seront irrémédiablement
irrécupérables et laisseront des handicaps graves.
Chaque neurone peut, par ses bourgeonnements dendritiques et axoniques, entrer en
communication avec tous les autres. On peut observer deux grandes phases :
Ce modèle de “construction
d’ordre par le bruit”, de différenciation fonctionnelle
et opérationnelle par perte de redondance du système nerveux central peut
constituer une analogie avec les fonctionnements de la mémoire.
9- Les travaux d’EDELMAN (9) tendent à conforter le schéma
d’un mode d’organisation des fonctions supérieures du système nerveux (la
mémoire) se construisant sur un mode de type darwinien :
• Seuls subsistent les engrammes issus de relations régulièrement “nourries”, déclenchant des comportements fonctionnels et fabriquant du sens.
• Des “routines” des “procédures” quasi-automatiques à la réception d’un signal se créent entre certains engrammes régulièrement associés et validés : entre des informations liées à des contextes et des schèmes d’actions. De véritables chemins critiques dessinent la structure qui va de la perception du signal à la régulation automatique de la réponse dans un contexte de déroulement habituel.
• L’écart possible (à toutes les étapes du processus) entre une chaîne information-réponse réalisée et celle, mémorisée, qui lui est la plus proche va, s’il est suffisant, entraîner des modifications possibles de tout ou partie de la chaîne mémorisée.
10- Se dessine, et ce n’est pas un hasard, une structure du processus de mémorisation proche de la représentation systémique des mécanismes de la communication interpersonnelle et dans lesquels différentes données vont influer sur les réactions de l’individu et les induire :
Ces modalités de “réaction” de l’individu seront de deux grands types :
Ces modalités de réaction, vont entraîner
des résultats d’évitement, d’agressivité, de succès ou d’échec
qui vont “ marquer” indélébilement l’information mémorisée, son
indexage, son classement, mais aussi sa plasticité et son opérationnalité
à des réactualisations futures.
11- Les recherches en intelligence artificielle (et
notamment les systèmes-experts) démontrent, à partir d’une base de
données actualisable selon des modalités variables, un moteur d’inférence
enclenchant les “quêtes”
avec un double mécanisme de fonctionnement: :
Les formalisations des langages de l’intelligence artificielle,
la place des règles de la logique classique et notamment celle des prédicats
(constantes, variables, règles d’assemblage, constantes fonctionnelles...),
leur opérationnalisation sous forme d’algorithmes, toutes réductrices qu’elles
soient de la complexité intrinsèque des fonctionnements humains, dessinent
une des structures et une des sources d’inspiration de l’ingénierie de formation.
Ce monde technologique évolue vite. Les modèles d’architectures “neuronaux” nous montrent un processus
de traitement de l’information par “couches”, par succession emboîtée pondérée de modes logiques.
Les architectures travaillant en “logique floue” nous ouvrent d’autres perspectives d’un traitement digital simulant
l’analogique. La veille technologique du monde de la formation dépasse le champ
psycho-social et doit suivre ces développements.
Concluons par le rappel de ces quelques hypothèses concernant la mémoire:
0- JL
LE MOIGNE " La théorie du système général" - PUF ainsi
qu'une de ses suites, du même auteur "La modélisation des systèmes
complexes" AFCET Systèmes - DUNOD 90. Retour
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1- Jean-Pierre CHANGEUX “L’homme
neuronal” - Fayard , 83 et “Molécule et mémoire” Ed. Bedou, 88. Retour au texte
2- intervention au Colloque
d’Aix en Provence 1979 du GRASCE “Les processus collectifs de mémorisation”
- CNRS, librairie de l’Université 1980. Retour au texte
3- Henri ATLAN “Entre le Cristal et la Fumée”, Seuil 78. Retour au texte
4- Henri LABORIT “ L’inhibition
de l’action” - Masson 79 et “Eloge de la fuite” - R. Laffont 76.
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5- M.J. CHALLAMEL & M.
THIRION “Le sommeil, le rêve et l’enfant” - RAMSAY, 88.
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6- MJ CHALLAMEL “ Rêves,
mimiques, apprentissages” in Revue “AUTREMENT “ , Février 91.
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7- JG MARCH & HA SIMON
“Les organisations” - DUNOD, 79. Retour au texte
8- Ce modèle est très
proche des travaux de J. PAILLARD sur l’acte moteur et des théories liées
à l’auto-organisation systémique. H. LANDIER (“L’entreprise polycellulaire”
- Entreprise Moderne d’Editions 87) s’en inspire pour ses réflexions sur l’entreprise
intelligente. Il est
détaillé dans Jean-Pierre CHANGEUX “L’homme neuronal” - Fayard 83. Retour au texte
9- G. EDELMAN “Biologie de
la conscience” - Seuil 92. Retour
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1994