“Le complexe est alors inobservable : ni vu ni connu.
Existant donc, énorme et embarassé parfois, entravé, entrelacé,
mais pourtant noyé dans et par cette nullité de la différence de potentiel,
il n’existe qu’en puissance, comme une mémoire noire, milieu entre la présence
et l’absence, l’oubli et le souvenir, l’énergie locale et l’incapacité
globale.”
M. SERRES - ”Le tiers-instruit”
B.M. BARTH
(1) a développé
les caractéristiques d'un concept et les mécanismes de son acquisition.
Une description plus systématique, dans une approche plus systémique de
ces caractéristiques est possible et permettra de dégager des pistes supplémentaires
pour une mise en oeuvre opérationnelle dans une problématique d'apprentissage.
Un concept est une pure abstraction, une représentation
d'objets concrets ou abstraits, naturels ou artificiels.Dans son acception courante,
c'est une représentation symbolique d'expériences de l'individu avec ses
environnements (cf."Le processus de mémorisation").
C'est aussi, et on néglige peut-être trop souvent cet aspect, un support
de communication sociale dans la mesure où il est intrinsèquement lié
au langage. Par là même, il existe toujours un consensus social, localisé
et daté, sur les caractéristiques propres à chaque concept.
C'est enfin un outil, plus ou moins opérationnel, pour pouvoir agir sur le "réel", dans la mesure
où il permet de "reconnaître" une situation avant d'y agir.
Un concept, dans le cadre de ces précisions:
Il possède une dénomination, un nom, qui le caractérise,
directement issu d'un langage et d'un vocabulaire. Cette dénomination doit donc
opérer la liaison entre les langages du formateur et ceux des apprenants. Elle
induit des modes d'indexation (alphabétique, analogique, étymologiques...)
qui peuvent être mis en oeuvre par des heuristiques et permettre la reconnaissance.
Une "table" (du latin tabula) se trouve classée dans un dictionnaire. L'étymologie
me permettra d'y rattacher un ensemble d'autres termes et de commencer à envisager
son histoire.
Une "addition" (du latin additio: ajout) possède lui aussi ses caractéristiques
dénominatives.
Il possède une/des fonctions: Il sert à quelque chose
et peut être, en général, ramené à de l'expérience.
Plus sa fonction prendra appui sur l'expérience de l'apprenant et plus il sera
rapidement opérationnel.
Si nous parlons d'une "table", nous conviendrons sommairement qu'elle sert indifféremment
à manger , à boire et à travailler. C'est à partir des différentes
expériences concrètes que j'aurai eu que le concept se sera élaboré,
me permettant de reconnaître un objet-table, quelle que soit sa forme, sa couleur...
Une "addition" sert à ajouter, à réunir en une somme des unités
ou fractions d'unités.
La fonction induit aussi ses modes d'indexation spécifiques.
Il a des caractéristiques techniques qui décrivent son
"noyau dur" et
sa structure interne. Ce noyau peut en partie se définir à partir des règles
logiques élémentaires: et, et/ou, si... alors...
Si nous parlons d'une "table", nous conviendrons rapîdement qu'elle possède
un/des pieds et un plateau (qui sont eux-mêmes des concepts).
Une "addition" possède toujours au moins deux parties à additionner.
Elle comprend les signes "+" et "=".
Par les caractéristiques techniques du concept seront opérés d'autres
modes d'indexation.
Un concept est susceptible de s'actualiser en une grande variété
de réalisations. Il dispose d'un espace d'état d'actualisations potentielles
plus ou moins important.
Une "table" peut être haute ou basse, être de couleurs et matériaux
différents, avoir des formes variées, elle reste un objet sur lequel je
peux boire et manger et, moyennant certaines conditions, travailler.
Le nombre des "additions" possible est infini, à la hauteur de l'infinité
des nombres.
Cet espace d'actualisation peut (doit) être source d'exemples et de références
à l'expérience du sujet.
Un concept peut avoir un certain nombre d'attributs généralement
ou potentiellement associés par une structure. Quelles sont les principales
relations ?
Et parmi les attributs, certains peuvent être principaux, d'autres simplement
accessoires ou relatifs à certains contextes.
A une "table", on peut associer des objets (chaise, assiettes, verres...), des
lieux ( restaurant, cuisine...), des moments (repas, apéritif...),...!
A une "addition" on peut associer d'autres objets (calculette...), des lieux (caisse
du supermarché...), ...
Un concept est donc la plupart du temps relatif à des contextes, des catégories
d'environnements définis. Le choix des contextes dépend des projets d'apprentissage.
Un concept peut avoir un niveau d'abstraction plus ou moins élevé.
Très schématiquement, plus le niveau d'abstraction est élevé,
plus le nombre d'actualisations possibles est élevé et plus le champ d'application
est étendu.
Une "addition" est un concept plus abstrait qu'une "table", notamment parce qu'on peut tout additionner (y compris
des tables).
Ceci dit, il est toujours possible d'entrer dans la construction du concept par du
concret, à partir d'au moins un de nos cinq sens.
Un concept possède une histoire. Il s'est constitué à
partir d'Entrées. Ses actualisations constituent ses sorties possibles. Son
histoire permet des hypothèses sur ses évolutions futures.
Un concept est toujours connecté à d'autres. La modélisation
(sous des formes logiques ou mathématiques abordables) du réseau et des
principes de cette connectivité est encore une des caractéristiques opérationnelle
du concept.
Une "table" pourra être connecté à l'univers domestique selon
certaines règles.
Une "addition" est connectée à d'autres univers selon d'autres règles.
Un concept possède un degré de complexité, c'est
à dire, à la fois une taille et un espace de variété, une redondance
fonctionnelle (assimilable à son noyau dur qui, quelque part, joue le rôle
d'une mémoire du concept).
Enfin, un concept évolue, au gré des expériences
et des rencontres puisqu'il constitue la mémorisation opérationnelle de
l'expérience du sujet. Un travail de prospective et/ou de futurologie peut s'atteler
à ces prévisions. S'il évolue, c'est qu'un concept possède sa
mémoire propre individuelle et culturelle (liée à la fois à son
histoire et à ses usages sociaux), mémoire qui peut s'enrichir et se réorganiser
au gré des interactions.
Comme on le voit, un concept peut être représenté
en tant que système auto-organisateur finalisé dont des perceptions, toujours liées à des
interactions, seront les Entrées et dont les re-connaissances d'objets vont
constituer les Sorties, véritable machine à fabriquer du sens. En tant
que système, se pose alors le problème de son opérationnalité:
- Dans quels contextes sera-t-il le plus opérationnel
?
- Dans quel contexte devrait-il être opérationnel et efficace, devra-t-il
reconnaître les données essentielles d'un objet et/ou d'une situation afin
de permettre une interaction dans laquelle l'apprenant atteigne ses objectifs d'apprentissage?
- Faudra-t-il un concept "étroit", très proche de la reconnaisance d'un signal, déclencheur
d'un programme "mécanique" bien huilé et efficace dans un environnement dénué
d'incertitudes, mais par là-même rigide et peu susceptible d'évoluer
?
- ... Ou un concept à priori labile, à spectre de reconnaissance large,
susceptible d'évoluer tout au long de la vie de l'acteur?
- Les deux (et toute la gamme intermédiaire) sont bien entendu nécessaires.
Une des problématiques de la formation sera de répondre préalablement
à ces questions et d'envisager les optimisations.
Les caractéristiques
d'un concept: "dénomination", "fonction",
"caractéristiques techniques et structure
interne", "espace
d'actualisation", "attributs
associés et structure relationnelle", "niveau d'abstraction", "connections", "degré de complexité",
"histoire" et
"évolution"
sont alors autant de modes d'entrées possibles dans son apprentissage et constituent
autant de marquages organisationnels et donc de techniques d'indexage en mémoirevfacilitant
les réactualisations futures, pour une mémoire qui soit opérationnelle
à un maximum de situations.
Le choix des pistes prioritairement choisies dépend alors des contraintes de
la formation et de l'analyse qui est faite des capacités et des attentes des
publics, en un mot, du projet d'apprentissage.
Si ces
différentes entrées sont toutes exploitées systématiquement et
méthodiquement, on devrait garantir l'opérationnalité maximale du
concept.
L'apprentissage
serait alors à la fois une complexification des représentations (pensée
globale) et une élévation des performances des programmes (d'actions locales)
dans une gestion à court, moyen et long termes des projets du système-apprenant
et de ses interactions avec ses environnements. (cf. "Une
situation de formation").
* L'apprentissage de l'abstraction"
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